La distinction du Savoir et du Su ^*

   Lenni lut « la connaissance de l'objet ne durerait que tant qu'il est présent si le Moi ne recueillait pas cette connaissance pour en faire son bien.» Il lisait à haute voix, en articulant les passages forts, pour que Ninni puisse recueillir la connaissance que son texte cueillait, comme un filet de marin pêcheur qu'il traînait dans la réalité.
   La phrase qu'il venait de lire était un filet à crevettes ou à papillons, tant elle était minuscule, mais son filtre récupérait une idée sensible : la 'connaissance' dont elle parlait, tenait à la représentation qui était constituée pendant qu'on percevait l'objet en question. Un phénomène avait rendu consciente cette représentation. C'était cela cette "connaissance" que le Moi allait s'approprier en ajoutant la fonction de la mémoire avec la durabilité de ladite connaissance. Ce Moi est donc nanti d'un droit de propriété pour que la mémoire put opérer - «à la manière humaine dans un écosystème» précisa Ninni qui l'écoutait raisonner - et cette propriété est celle de la conscience de la représentation, autrement dit, ce que Lenni appelait comme tout le monde 'le perçu'.

- Tu est sûr que tu ne dis pas n'importe quoi? demanda Ninni, parce que si tu filtres juste, ça veut dire qu'on peut dire ce qui est propriétarisable. Mais jusqu'à présent on n'avait jamais su n'atteindre que ce qui pouvait être volé du propriétarisable - c'est à dire la plus-value. Mais pour l'économiste, l'objet lui-même restait inconnu comme ensuite les psychologues s'évertuèrent à le démontrer sur le modèle de la lettre qui est également volée, tant qu'elle ne révèle la chose dont elle parle objectivement. Mais à présent tu lis la désignation du propriétarisable ! C'est beaucoup dire! dis..

- Alors je te répète, répondit Lenni, en lisant plus loin que : « l'âme est absorbée dans ce qui, pour elle, est extérieur car elle a reçu du dehors ce dont elle fait son propre bien par la mémoire.» Tu entends bien que la mémoire est un certificat de propriété qui permet qu'on sorte un peu de chez soi, pour faire un tour dehors, et qu'on puisse rentrer et qu'on ne soit pas jeté dehors par quiconque aurait pris la place.

- Pffffffffffffffff !! N'importe quoi.. je t'avais bien dit. Maintenant tu parles d'âme.. c'est complètement dépassé, mon vieux. Ou alors, il faut que tu m'expliques ce que c'est que l'âme. Pour moi ce n'est toujours qu'un OVNI, un Opérateur Volé Non Identifié..   argh!
   Ninni s'énervait.. Brusquement elle s'était retournée en lui demandant de lui gratter le dos. Lenni lui rendit ce service. Elle s'était tant tortillée qu'elle avait renversé le manuscrit de la thèse qu'elle rédigeait, éparse sur l'identification par le code génétique (qui était au programme du gouvernement après qu'on ait fixé la société au régime du revenu citoyen).
   Lenni savait bien gratter le dos et ça la calma bientôt. Le menton posé sur le bord du lit Ninni ronronnait. Ses yeux mi-clos balayaient du regard la thèse égayée sur le tapis. Sentant que ça venait, elle eut un sursaut de devoir. Quand on arrivait à la génétique, l'identification par son code outrepassait l'insu. C'est ainsi que Ninni demanda à Lenni :

- Tu sais pourquoi il est interdit d'identifier les génomes individuels et de faire des carte d'identité génétiques ?
- Parce que ça ne se fait pas, répondit Lenni sans réfléchir.
- Oui, mais ça s'explique : c'est parce que nous ne voulons pas que tout le monde sache notre code génétique.
- Oui, seul le gouvernement peut savoir ça.
- Comme tu es intelligent ! s'émut Ninni.

La suite est le développement de Lenni, jusqu'à ce que Ninni achève sa thèse de Droit (sur la conclusion de l'identité génétique)

Il fallait que Lenni commence par  l'identification des choses... suite.

* : initialement titré "Transparence & Surveillance"
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